Editorial
Depuis maintenant 40 ans la politique publique en direction des personnes sans-abris ou en rupture de logement reposait en priorité sur l’accès à l’hébergement d’urgence et la mise à l’abri avec in fine la nécessité d’un développement de ces dispositifs pour répondre aux besoins grandissants.
Débutait, alors pour les personnes un parcours « en escalier », de l’hébergement d’urgence à l’hébergement d’insertion, souvent collectif pour accéder à un hébergement en diffus ou un logement en bail glissant avant de pouvoir atteindre l’objectif ultime de l’accompagnement : le logement autonome. A chacune de ces étapes, des contrats de séjour définissant des objectifs en termes de démarches de soins, d’éducation des enfants, d’entretien de son lieu de vie, de respect des règlements intérieurs, le paiement d’éventuelles participations à l’hébergement et surtout l’adhésion à la démarche d’accompagnement dit « global » visant à l’acquisition ou à l’amélioration du « savoir habiter » préalable à l’entrée en logement.
Force est de constater que nombre de personnes ne parviennent pas à la dernière marche du parcours, les échecs sont nombreux à toutes les étapes.
A partir de 2011, la France mène une expérimentation « un chez soi d’abord » basée sur le modèle américain « The Housing First ». En première intention, en direction d’un public vulnérable atteint de troubles psychiques, il s’est généralisé pour devenir le pivot d’une politique publique en direction des publics sans abris.
« Cette expérimentation postule que les personnes, y compris celles qui sont durablement sans-abri, ont des compétences pour accéder et se maintenir dans un logement.
Elle propose un accès direct dans le logement comme préalable à l’accès aux droits, à des soins efficients et à une insertion sociale et citoyenne.
Elle offre un accompagnement intensif et pluridisciplinaire au domicile » (DIHAL « retour sur six années d’expériences »).
L’opposition majeure entre l’accompagnement traditionnel « en escalier » et ce modèle repose sur la place du logement qui devient le socle de l’accompagnement à partir de la réalité vécue par les bénéficiaires.
Cette approche se centre non sur des carences à combler, des insuffisances à corriger ou des problématiques à réparer préalablement à « toute vie en autonomie » mais repose sur les besoins et les potentiels des personnes dans le réel d’une vie sociale autonome : le pouvoir d’agir des publics et l’adaptation de nos accompagnements et prestations aux individualités.
Ne nous y trompons pas, il s’agit d’un changement de paradigme important dans notre secteur d’activité qui suppose la montée en compétences de nos équipes, la formation initiale et continue des travailleurs sociaux.
Toutefois, la réussite de cette politique repose avant tout sur les moyens consacrés.
La question de l’offre, l’accessibilité et la mobilisation de logements. En cela l’implication des bailleurs, des collectivités territoriales, essentielles parties prenantes, doit être de mise.
Moyens humains consacrés à ces accompagnements. S’adapter aux individualités, étayer et répondre à la diversité des besoins impliquent des moyens en personnels pluridisciplinaires et en suffisance dans le cadre d’un partenariat élargi.
Assurer aux opérateurs gestionnaires un soutien suffisant dans la prise de risque financier en termes de gestion locative.
Enfin, même si ce modèle du « logement d’abord » doit s’imposer comme étant la règle, il est également important de ne pas oublier les outils « traditionnels » (HU, CHRS…) qui ont également fait leurs preuves pour certaines personnes. Une politique ne doit pas en chasser une autre, c’est bien la pluralité des outils et des réponses qui doit fonder notre action.
L’AARS a, pour sa part, déjà intégré cette politique dans son organisation et ses perspectives.
RÉMI BERNARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL